Une collection de factures à en-tête du début du XXe siècle

Fleurs, végétaux, chevaux, tonneaux, raisins, médailles, fils électriques, monogrammes, lettre O évoquant des roues de voitures, police de caractères inspirée par l’écriture gothique … un inventaire à la Prévert des détails que l’on peut retrouver sur cette collection de papiers à en-tête retrouvée par la Direction du Patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue.

Constitué essentiellement de factures reçues entre 1909 et 1923 par Eugène Geoffroy, ce fonds d’archives privées se révèle être une véritable mine d’informations pour l’histoire économique de L’Isle au début du XXe siècle.

Découvrez quelques-uns de ces papiers à l’en-tête d’artisans, commerçants ou industriels d’Avignon et de L’Isle-sur-la-Sorgue ainsi que l’activité commerciale d’Eugène Geoffroy, négociant en vins de L’Isle.

Des supports publicitaires

Les papiers à en-tête pré-imprimés sont des documents comptables qui deviennent également des supports publicitaires dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Ils affichent différentes informations pratiques comme le nom de la société, sa date de fondation, ses activités, les produits disponibles, les récompenses reçues ; le tout pouvant être illustré de décors simples ou plus élaborés.

Les imprimeurs, parfois avec le concours d’artistes, vont créer des décors qui s’inscrivent dans les courants artistiques de leur époque, comme sur cette facture de l’imprimerie l’isloise Demontoy qui présente un dessin soigné aux accents Art Nouveau.

L’en-tête ci-dessous, choisi par Monniers met en avant ses activités de sellier, carrossier et bourrelier dans une représentation foisonnante où figurent deux chevaux et divers équipements.

Outre leur intérêt esthétique, ces documents permettent de mieux connaître l’activité commerciale d’Eugène Geoffroy.

Le commerce du vin, une activité familiale

Eugène Geoffroy est issu d’une famille l’isloise de cultivateurs installée au quartier de Bouïgas. Son père, Antoine (1832-1906), abandonne le travail de la terre pour l’industrie de la garance avant de devenir négociant en vin dans les années 1860.

Ses fils, Léon Antoine (1860-1939) et Eugène (1868-1940), créent en 1890 la société « Geoffroy frères », spécialisée dans le commerce de raisin et de vin. Cette activité lucrative a permis à cette famille de se hisser dans les rangs de la bourgeoisie locale.

Leur sœur aînée, Marie Claudine Geoffroy, est mariée à Pierre Joseph Gautier, également courtier en vin. Elle achète en 1917 le château Giraud, situé au cœur du parc qui porte encore le nom de la famille Gautier.

La société « Geoffroy frères » (1890-1910)

C’est grâce aux fonds de cette société que les deux frères achètent en 1899 une propriété au pré de la Clède et font construire une maison destinée au logement de la famille de Léon[1]. Depuis 2011, elle abrite la fondation Villa Datris pour la sculpture contemporaine. Eugène Geoffroy, quant à lui, vit dans la propriété du quartier des platanes, dit aussi « entre deux eaux », également achetée par leur société au début des années 1890[2].

Ces maisons présentent toutes deux au niveau de l’entrée principale un décor similaire de grappes de raisins, suspendues aux consoles qui soutiennent le balcon du premier étage, rappelant l’activité commerciale de la famille.

Entrée principale de la Villa Datris (DPI)

En 1910, les frères Geoffroy décident d’arrêter leur activité commune et de partager les biens de la société. Eugène Geoffroy poursuit seul le négoce de vin et, comme son papier à en-tête l’indique, « le prénom est de rigueur » pour ne pas être confondu avec son frère.

Le travail d’un négociant en vin …

Cette activité commerciale fait d’Eugène Geoffroy un intermédiaire entre les viticulteurs et les marchands. Trois documents de 1911 nous permettent de savoir qu’il travaille avec le domaine viticole Le Riotord à Lagnes, qu’il commande des échantillons de diverses cuvées de Châteauneuf-du-Pape à un commissionnaire en vins, Henri Bouachon, et qu’il achète 14 fûts de vin rouge à la cave de Saint-Andiol.

Il fournit par exemple le commerce « Kina Constant » à Mormoiron, vins fins et spiritueux, qui lui achète en 1912 trois demi-muids[3] de vin rouge. La même année, il expédie 5737 litres de marchandise par le chemin de fer à Constant Terpend à St Laurent du Pont en Isère.

Le transport est assuré par diverses sociétés : en 1911 il fait appel à l’entreprise Dabry d’Avignon pour l’expédition de fûts ; en 1912 la société des wagons foudres du Gard – Pujas et compagnie, basée à Nîmes, assure un voyage de L’Isle à Conliège dans le Jura ; en 1916 le service de voitures publiques Robert organise des voyages entre L’Isle et Avignon et transporte pour le compte d’Eugène Geoffroy des fûts, des bonbonnes, …

… devenu propriétaire de domaines viticoles

Eugène Geoffroy est également producteur de vin. Il a acheté le domaine de la Cigalière au Thor ainsi que celui du Grand Hôpital à L’Isle pour lesquels il se fournit en engrais auprès de divers établissements : en 1911 il achète de l’engrais à vigne à Sabatier à Avignon qui fabrique du guano artificiel dit Guano Sabatier ; en 1920 il commande auprès de G. Jourdan, fabricant d’engrais à L’Isle, du superphosphate potassique, de l’engrais complet spécial et du sulfate de fer.

En 1922, il se fournit en greffés-soudés[4] auprès de la maison Mouton à Avignon.

En 1911, il fait appel à Blanchard, maréchal-ferrant, pour réparer des outils et fournir des fers pour les chevaux qui étaient, selon toute vraisemblance, nourris grâce à l’avoine achetée à la minoterie de Mousquety.

Le matériel du domaine et de la cave est connu grâce aux achats et réparations qu’il fait réaliser : en 1912 Gustave Serre, propriétaire d’un atelier de constructions mécaniques à L’Isle, réalise diverses réparations sur une machine à soufrer et une presse ; en 1914 le tonnelier avignonnais Buisson lui vend des fûts de 30, 60 et 110 litres ; en 1917 Pierre Bages, tonnelier l’islois, répare des foudres (tonneaux de grande capacité).

Quelques aspects de la vie d’un homme de la bourgeoisie au début du XXe siècle

En ce début de XXe siècle, les achats de véhicules automobiles se développent en Vaucluse dans les classes sociales aisées. En 1910, Eugène Geoffroy achète une voiturette Lion Peugeot d’occasion. Quelques années plus tard, en 1917, il fait l’acquisition d’une Bébé Peugeot, petite voiture qui a gagné la course de côte du mont Ventoux en 1913.

Publicité pour la Bébé produite à partir de 1913

Comme cela a déjà été évoqué, Eugène Geoffroy est propriétaire d’une maison bourgeoise à L’Isle ainsi que de deux domaines ruraux. Il fait appel à des artisans et entrepreneurs de L’Isle pour réaliser des travaux, parmi lesquels des travaux de peinture et de vitrerie à la Cigalière et à la maison de L’Isle réalisé par Bezol aîné en 1910. ,En 1920 il commande 135 carreaux de diverses références à la société des carrelages en ciment du Sud-Est Soulier.

Eugène Geoffroy était impliqué dans la vie locale en tant que fondateur de l’association des gymnastes de L’Isle en 1902 et président de la société hippique en 1913. Il était également juge titulaire au tribunal de commerce d’Avignon, poste pour lequel il se présente de nouveau lors des élections du 4 décembre 1910, comme l’indique le courrier du secrétaire-adjoint du comité central de la fédération républicaine.


[1] Située aujourd’hui au 7 avenue des Quatre Otages

[2] Située au début de l’actuelle avenue du Général de Gaulle

[3] Le muid est une ancienne mesure pour les liquides qui, par extension, désigne un contenant

[4] La mise au point des greffés-soudés, réalisés à partir de greffons résistants au phylloxéra, a permis de reconstituer le vignoble après l’épidémie qui a sévi dans le Vaucluse à partir des années 1860

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