Diagnostic archéologique : îlot de la Tour d’Argent, fouille du cinéma (2022)

L’Isle-sur-la-Sorgue est une ville relativement récente, créée au XIe siècle dans la plaine du Comtat Venaissin pour tirer profit de la force hydraulique émanant de multiples bras de la Sorgue. Ville industrieuse, essentiellement tournée vers l’activité textile, sa surface urbanisée se développe de façon rapide pour atteindre une taille correspondante à l’actuel centre historique dès la fin du XIIe siècle. En 1200, elle est après Avignon, la deuxième agglomération du secteur, située en terre d’Empire, sous la suzeraineté partagée des comtes de Toulouse et de Forcalquier. La richesse de l’Isle bénéficie en premier lieu à une aristocratie pléthorique qui trouve la formule politique du consulat seigneurial pour répondre aux besoins de gestion de la cité. Avec le début de la croisade des Albigeois et ses répercussions locales s’ouvre une période troublée qui va entrainer de profondes mutations sociologiques dans l’aristocratie. L’apaisement vient avec le rattachement définitif de L’Isle et du Comtat aux états pontificaux en 1274.

Au XIIe siècle, la coseigneurie locale est transcrite architecturalement par l’érection de tours ou de maisons fortes, dont nombre de vestiges sont encore conservés dans le tissu urbain, en particulier sur l’îlot de la Tour d’Argent. Depuis plusieurs années, la Direction du Patrimoine effectue diverses recherches archéologiques et historiques sur ce site implanté au cœur de la cité et destiné à une réhabilitation en pôle culturel. Le lieu tire son nom d’une tour médiévale, construite vers la fin du XIIe siècle, dominant au nord un ensemble complexe de bâtiments médiévaux venant d’être explorés par une dernière campagne de fouille préventive réalisée au printemps 2022.

Vue générale de la fouille © F. Guyonnet, DPI

Au début de l’intervention, nous possédions de multiples informations issues des différentes études conduites depuis 2010. Il est évident que ces données nous apportaient un regard assez précis sur ce qu’était un quartier urbain à dominante aristocratique entre le XIIe siècle et l’époque moderne. Néanmoins, il nous manquait des liaisons pour comprendre l’organisation générale des bâtiments sur le site et surtout des indices probants sur sa genèse. Cette nouvelle opération a répondu en grande partie à ces questions de fond.

En résumé, nous avons exploré une large superficie située au cœur même de l’îlot, sur l’intégralité de la surface du cinéma. La structure de l’hôtel particulier d’époque moderne, dans lequel était aménagé le cinéma, s’appuyait sur des murs antérieurs dont une petite partie de l’élévation était conservée. Ces constructions médiévales, datées de la fin du XIIIe siècle, décrivent un parcellaire bordant le canal de l’Arquet et trois bâtiments placés dans la continuité de la Tour d’Argent. Plus à l’ouest, au-delà d’une cour centrale, un autre édifice tout en longueur se développe dans un axe nord-sud et sert d’appui à la tour fouillée en 2012 dans la cour de Brancas. Au sud de cet ensemble groupé autour d’une cour, nous sommes visiblement sur un autre tènement avec sa propre logique topographique, probablement liée à des bâtiments médiévaux situés aujourd’hui plus au sud, dans l’hôtel voisin de Palerne. Il apparait que ces édifices groupés autour d’une cour centrale fonctionnaient ensemble dans une même entité foncière regroupant également la Tour d’Argent. D’un seul niveau mais parfois avec étage, les constructions semblent avoir chacune une fonction propre : une salle d’apparat contre la tour, une remise et une vaste cuisine. Le bâtiment à l’ouest de la cour possédait deux entrées et se développait sur deux niveaux. Le mobilier médiéval recueilli est peu abondant mais reflète l’appartenance des habitants aux classes édilitaires (vaisselle d’importation espagnole ou syro-égyptienne).

Le second objectif de l’opération était l’étude des niveaux sous-jacents, contemporains ou antérieurs à la Tour d’Argent (fin XIIe siècle). Là encore, nous sommes plus que satisfaits des informations issues de la fouille. Ainsi, nous avons découvert deux bâtiments antérieurs implantés sur un axe nord-sud, en retrait par rapport à l’alignement du canal. Le plus au nord semble dater du début du XIIe siècle et accueillait un vaste espace culinaire avec une superposition de foyers. L’autre, au sud, est plus tardif et bien différent car il comporte un petit bassin en béton de tuileau et une extension maçonnée de grande envergure, malheureusement en grande partie détruite. Nous nous interrogeons actuellement sur sa fonction étant donné que deux meules ont été découvertes, réemployées dans la cuisine de la fin du XIIIe siècle. S’agit-il des vestiges d’un moulin ou d’un atelier ? L’autre grand apport de ces excavations plus profondes est la connaissance du réseau hydrographique et de son interaction avec l’urbanisme médiéval. Aujourd’hui, nous pouvons assurer que le canal de l’Arquet était à l’origine un bras de la Sorgue. Le plus ancien des bâtiments construits en retrait est implanté sur un pendage naturel du sol. Des séquences alluvionnaires sont venues sédimenter rapidement les abords de cet édifice et c’est dans cet apport naturel qu’a été positionné le deuxième bâtiment en retrait, situé au sud. A l’est de ces deux constructions, les habitants n’ont eu de cesse d’endiguer et de remblayer des berges incertaines de la rivière pour être au sec. Des carottages réalisés par Jean-François Berger (CNRS) et des prélèvements effectués par Quentin Borderie (CD84) dans nos tranchées apporteront prochainement les compléments indispensables pour comprendre la géomorphologie du cours d’eau et de son environnement. Ces premiers endiguements de la rivière ont évolué vers la création du canal à la fin du XIIIe siècle. C’est en effet à cette période que les deux bâtiments en retrait sont détruits pour faire place à de nouvelles constructions placées contre un cours d’eau désormais canalisé.

Avec cette campagne de fouille nous arrivons au terme de plus de dix ans de recherches sur ce site emblématique pour la compréhension de la genèse et de l’évolution d’un quartier médiéval sur une période, les XIIe et XIIIe siècles, peu documentée par l’archéologie dans ce secteur de la Provence. Désormais, il nous reste à effectuer un important travail de synthèse et de comparaison au préalable à l’élaboration de la publication.