Une photographie des collections du Museon Arlaten (Arles) : la charrette de l’agneau à L’Isle en 1901

© Cd13, Museon Arlaten – musée de Provence

L’Isle dans les collections des musées de France #1

Sur les murs de la salle dédiée aux fêtes, rites et légendes du Museon Arlaten, musée ethnographique consacré à la Provence, le visiteur attentif peut observer une photographie de 1901 immortalisant un cortège d’hommes, de femmes, d’enfants et d’animaux.

La légende indique en provençal « La carreto de l’agnèu, à L’Ilo (1901), fèsto que fan li pastre pèr calèndo » que l’on peut traduire par « La charrette de l’agneau, à L’Isle (1901), fête que font les bergers pour Noël ». Sur la gauche du cliché, on reconnaît la façade de l’hôtel de Palerne et en arrière-plan des bâtiments aujourd’hui démolis sur l’actuelle place Rose Goudard.

Ce tirage photographique a été donné au musée en 1947 par l’abbé Linsolas, alors curé de la paroisse des Baux-de-Provence, où se déroule encore aujourd’hui cette cérémonie connue aussi sous le nom de pastrage, mot dérivé du provençal pastre qui signifie berger.

Une cérémonie d’offrandes lors de la messe de minuit, la nuit du 24 au 25 décembre

La charrette de l’agneau est définie par Frédéric Mistral[1] comme « un petit char orné de feuillage, enrubanné et trainé par une brebis, sur lequel est couché un agneau que les bergers, dans certaines localités, vont offrir en corps à l’enfant Jésus pendant la messe de minuit ».

L’offrande au clergé du fruit de leur travail par diverses corporations est un rite rural répandu. Cette cérémonie des pâtres remettant un agneau pour la fête de Noël revêt un sens particulier car ce jeune animal est un des symboles du Christ mais aussi car les bergers, dans l’Evangile de Luc, sont les premiers à être informés de la naissance de Jésus.

Le pastrage est attesté dans plusieurs localités provençales au début du XIXe siècle. Avant la Révolution, une des rares mentions de cette offrande figure dans le livre de raison du chanoine de Cavaillon Jean-Gaspard de Grasse en 1665 : « Nota que cette année, à la messe de minuit, vigile de la Noël, les bergers de cette ville ont offert un agneau tout enjolivé de rubans dans une petite charrette … ». On ne peut toutefois pas affirmer que cette cérémonie se déroulait également à L’Isle et dans d’autres villages des Monts de Vaucluse, où l’élevage ovin était important.

Le pastrage au début du XXe siècle

A la fin du XIXe siècle le pastrage semble avoir disparu. En effet, au cours du XIXe siècle, cette cérémonie est interdite dans plusieurs paroisses en raison de l’agitation qu’elle peut provoquer. De plus,  le pastoralisme est en déclin dans une région qui subit l’exode rural.

Le pastrage renaît dans les premières années du XXe siècle aux Baux à l’initiative de félibres qui souhaitent remettre à l’honneur et codifier des rites provençaux, notamment liés aux fêtes de Noël. L’offrande de l’agneau n’est plus faite au clergé mais à l’enfant Jésus dans la crèche, sur fond de chants de Noël.

C’est sûrement dans ce contexte que s’est déroulée cette cérémonie à L’Isle, peut-être sous l’impulsion de personnes comme le poète et félibre l’islois André Autheman (1820-1903) et le conteur provençal Raymond Tallet (médecin originaire du Thor installé à L’Isle en 1898).

La charrette de l’agneau contée par Alexandre Payard

Alexandre Payard dans son ouvrage « Joseph Arnaud, le Saboly L’Islois (1754-1829) », publié en 1971, nous invite à découvrir Joseph Arnaud, cordonnier l’islois passionné de musique qui connut une renommée locale pour ses noëls provençaux, textes sur la naissance de Jésus chantés sur des airs populaires, où il évoque notamment des familles de L’Isle.

Dans ce livre, Alexandre Payard consacre un chapitre aux fêtes de Noël à L’Isle où il décrit cette cérémonie alors disparue.

« Personne ne voulait manquer la charrette : c’était un spectacle qui ne se voyait qu’à l’Isle, c’était la cérémonie de l’offrande, aujourd’hui disparue (…). A la messe de minuit, un peu avant qu’elle ne commence (…) un mouvement important se produisait tout à coup dans l’église. Dans le lointain, le bruit incertain du tambour et le son aigu du fifre qui perce se font entendre. Bien vite les voilà tous devant la porte. Les enfants poussent des cris de joie : La charrette ! La charrette ! La charrette était un petit chariot à deux roues, couvert, les côtés ajourés, par de petits barreaux artistiquement tournés, enguirlandés de buis et enrubannée … deux brebis le traînaient. Devant, jouant : le tambour, le fifre, les clinquettes[2]. En tête les bergers, l’un d’eux portant un agneau de naissance, traversaient l’église en jouant l’air retentissant, rustique et traditionnel, dont l’entrain et la gaieté affolaient la foule, puis ils se plaçaient contre la crèche. A la fin du Credo et de l’offertoire (…) Tous prêts, les bergers en ligne, torches allumées, tambour, fifre et clinquettes, la charrette attelée de brebis dans un harnachement des plus recherchés, le petit agneau, la tête couronnée d’un diadème étincelant et couvert d’un magnifique manteau, porté dans les bras du premier berger, ils se mettent en marche et avancent, tout doucement vers l’autel (…). L’enthousiasme est à son comble ! ».


[1] Dans son dictionnaire Lou Tresor dóu felibrige (1878) ; Frédéric Mistral est un des fondateurs du Félibrige en 1854, école littéraire provençale œuvrant pour le maintien des langues régionales

[2] Petit instrument à percussion