Sondage archéologique : le rez-de-chaussée de la Tour d’Argent (2019)

Fouille du rez-de-chaussée de la Tour d’Argent (2019)

Avant de débuter la deuxième phase de réhabilitation de l’îlot de la Tour d’Argent consacrée à la restauration de la tour médiévale, classée Monument historique depuis 2012, son rez-de-chaussée a fait l’objet de nouvelles investigations archéologiques. L’opération conduite par la Direction du Patrimoine de la Ville s’est déroulée durant le printemps 2019, dans des conditions d’intervention complexes, car il fallut s’adapter à une immersion récurrente de l’espace fouillé, due à la mitoyenneté du canal de l’Arquet. Les recherches réalisées manuellement sur les 50 m2 de superficie du rez-de-chaussée de la tour seigneuriale, ont atteint 1,50 m de profondeur moyenne. Elles visaient à compléter l’analyse architecturale du bâtiment édifié à la fin du XIIe siècle et à reconnaitre les différents niveaux d’occupation entraperçus lors de sondages réalisés en 2010.

Les premières séquences, repérées sur près de 0,70 m d’épaisseur, révélaient une superposition de remblais ayant occasionné un exhaussement général du rez-de-chaussée, lors de l’installation de niveaux de circulation tardifs (XIXe-XXe siècles). L’un d’entre eux s’illustrait notamment par une répartition régulière de supports en pierres de récupération, servant d’appuis aux lambourdes d’un plancher en bois du début du XIXe siècle, précédé d’un vide sanitaire.

En dessous de ces niveaux récents, l’étude stratigraphique atteste une longue période d’abandon du rez-de-chaussée, utilisé uniquement comme lieu de décharge entre l’extrême fin du XIIIe siècle et l’époque moderne. Les épandages se répartissaient en deux zones circonscrites en des endroits distincts de la pièce. L’un, localisé dans la partie nord-est, résultait d’une accumulation de déchets entreposés entre le début du XVIe siècle et le courant du XVIIIe siècle. L’apparence des déversements suppose qu’ils ont eu lieu par un accès direct au rez-de-chaussée, par une porte percée au tournant de la période moderne sur la façade sud de la tour, afin de communiquer avec le corps de bâtiment contigu, employé alors à des activités rustiques.

Localisation des zones de dépotoir (N. Duverger DPI, Orthophotographie A. Bolo INRAP)

La seconde zone, délimitée dans la partie sud-ouest de la pièce, découlait d’un amendement quasi discontinu de détritus amoncelés entre la fin du XIIIe et le début du XVIe siècle. Le dôme formé par les dépôts successifs comportait un point d’impact central provoqué par des recharges jetées depuis le premier étage, par une trappe aménagée à proximité de la porte d’entrée primitive de la tour. Les recherches se sont axées en priorité sur ce dépotoir médiéval qui renfermait, entre autres, une forte proportion de céramiques, un mobilier métallique abondant (bijoux, monnaies, sceaux, etc.) et quantité de déchets culinaires.

Céramiques du XIVe siècle et ensemble de noyaux de pêches et de cerises découverts dans le dépotoir médiéval (cliché J.-C. Treglia CNRS)

L’examen préliminaire des céramiques suggère de dater les séquences d’accumulation les plus anciennes de la fin du XIIIe-début du XIVe siècle. Celles-ci sont représentées par une grande variété de productions et de formes, parmi lesquelles on note l’émergence des faïences régionales à décor vert et brun et la survie de pièces en pâte grise, aux côtés d’une nouvelle génération d’ustensiles glaçurés. La permanence d’une forte hydrométrie favorisant la préservation des matières organiques, nécessitait également l’élaboration d’un protocole de prélèvement global, suivi d’un tamisage systématique des couches. Ce traitement exhaustif a permis de rassembler un volume considérable d’éléments dans un état de conservation remarquable : cuir, bois, végétaux, charbon, noyaux de fruits, graines, pépins, mollusques, arêtes de poisson, coprolithes, etc. L’ensemble soumis à une série d’analyses spécialisées sera en mesure d’apporter des conclusions détaillées sur la nature des dépôts.

Par ailleurs, les premiers déversements effectués au tournant du XIIIe-XIVe siècle, recouvraient le sol en terre battue d’origine, dont la mise en place peut être daté de la fin du XIIe siècle ou des premières décennies du XIIIe siècle par l’association d’ustensiles culinaires en pâte grise et de vases cannelés en pâte kaolinitique claire. La courte phase d’occupation du sol et son abandon rapide semblent procéder d’une modification du contexte hydrométrique requérant, dès la fin du XIIIe siècle, l’aménagement d’un voûtement pour isoler le rez-de-chaussée devenu insalubre. Les vestiges de deux banquettes en moellon plaquées contre les murs est et ouest de la tour coïncident avec la pose d’une voûte double, retombant sur deux arcs transversaux appuyés sur une pile maçonnée, antérieurement présente au centre de la pièce. La fonction précise de ce support monumental en pierre de taille, conçu à l’issue d’une première phase de travaux de construction de la tour, demeure pour l’instant incertaine.

Vue de la pile maçonnée (fin XIIIe s.), (cliché N. Duverger DPI)

Il peut être lié à un système d’acheminement des matériaux vers le sommet de l’édifice, ou à la présence d’une structure centrale chargée d’étayer l’élévation, dont l’étude démontre un important devers provoqué par un tassement différentiel des fondations intervenu en cours d’ouvrage.  

Ces recherches tendent vers une connaissance plus précise de l’évolution architecturale de la tour et de ses occupants, en permettant aussi d’appréhender leur mode de vie à travers le résultat d’études spécialisées réalisées dans le cadre de plusieurs partenariats scientifiques (CIHAM-UMR 5648, ISEM-UMR 5554, INRAP). Une meilleure perception de la première période d’existence de la tour soulève en parallèle, de nouvelles pistes de réflexion sur les causes d’une modification du contexte hydrographique du site dans le courant du XIIIe siècle (conséquences climatiques, transformation du réseau hydraulique urbain lié à la mise en défense de la ville, etc. ?).