L’érection de la maison de la Charité de L’Isle-sur-la-Sorgue dans les années 1658-1680 fut motivée par le besoin de plus en plus pressant, qui se faisait sentir depuis déjà le XVIe siècle, dans nombre de villes, de renfermer les pauvres et les vagabonds suite à une conjugaison de facteurs démographiques et économiques (accroissement démographique, excessive inflation, crises frumentaires, etc.).
Dans le royaume de France, c’est à Lyon que revient l’initiative de la fondation d’une maison destinée à l’enfermement des pauvres avec 1a création de l’hôpital, dit la Charité, en 1614. La première pierre en fut posée en 1617. Très vite, d’autres villes adoptèrent ce modèle, en reprenant bien souvent la même dénomination.
Construite en plusieurs temps, la Charité de L’Isle, dite aussi l’Aumône, occupait toute la partie de la ville comprise à l’intérieur des remparts, au sud de la rue André Autheman, depuis le Pont des Cinq-Eaux jusqu’à l’ancienne porte d’Avignon (quartier de Villefranche). Ce vaste édifice composé de plusieurs bâtiments, dont la plupart sont aujourd’hui conservés, se démarque par rapport à la plupart des Charités du Comtat du fait même de son ampleur.
Brève rétrospective de l’histoire de la maison de Charité
En 1658, il fut décidé par le conseil municipal de L’Isle de procéder au « renfermement des pauvres » dans l’une des deux maisons léguées à la ville par Jean de Favier, chevalier de l’ordre du pape et homme d’armes de la compagnie du comte de Suze, mort en 1609. Mais, il semblerait que l’institutionnalisation proprement dite de la Charité intervint seulement quelque vingt ans plus tard. Des « articles pour l’érection et règlement de la maison de la Charité de la ville de L’Isle » furent édictés en octobre 1679 et approuvés par le conseil de ville en 1683.
En fonctionnement dès 1679, la Charité avait pour vocation d’offrir un refuge aux pauvres hommes, femmes et enfants (logement, nourriture, instruction, service religieux, etc.), de leur apprendre et/ou fournir un travail – soit dans des salles au sein même de l’établissement, soit à l’extérieur –, de lutter contre « les abus commis par les mendiants ».
L’édifice de la Charité dans le quartier de Villefranche se développa à partir de l’emplacement de maisons léguées par plusieurs bienfaiteurs – dont notamment Jean de Favier et François Condamin –, suivant le projet ambitieux élaboré par le célèbre architecte Pierre Mignard dès la fin des années 1670. Natif d’Avignon, s’étant illustré à Paris, à la cour de Louis XIV, il avait reçu le titre d’Architecte du roi ou Chevalier de l’Ordre du Christ et avait fait partie des membres fondateurs et professeurs de l’Académie Royale d’Architecture de Paris. De retour dans sa ville natale dans les années 1670, il réalisa dans la région des œuvres d’importance (hôtels particuliers, couvents, portes, etc.). Son projet initial de la Charité de L’Isle comprenait un vaste ensemble à quatre corps de bâtiment avec deux grandes cours. Au vu des bâtiments tels qu’ils nous sont parvenus, il semblerait que sa réalisation se soit limitée à la seule aile implantée perpendiculairement à la rue, à moins que certains corps de bâtiments n’aient été détruits pour cause de ruine annoncée.
On distingue trois grandes phases de construction :
– 1680-1ère moitié du XVIIIe siècle (plans de Pierre Mignard et aménagements divers) : édification d’« un quartier neuf » (1681-1690) comprenant un réfectoire, un « membre au-dessus » et un dortoir supérieur, construction d’une cuisine au nord, d’un escalier dessiné par Pierre Mignard (1683-1686) avec la sculpture des armes du vice-légat Niccolini sur le palier, réalisée par J. Péru, sculpteur et architecte avignonnais (1685), remplacement du « vieil escalier » desservant le quartier des filles (1685), pose d’un cadran solaire exécuté par Esprit Brun dans la cour (1687), aménagement de jardins du côté des murailles, construction d’une fontaine (1754), etc.
– 1766-début XIXe siècle (plans de Jean Ange Brun, puis de l’architecte Charles Jacotet) : édification d’un nouveau « quartier » des hommes et des enfants suivant les plans de Jean Ange Brun, en bordure de la Sorgue, avec ouvertures pratiquées dans le rempart, construction d’un balcon, aménagement d’un jardin après avoir couvert le canal de la Sorgue, etc.; reconstruction du quartier des femmes selon les plans de Charles Jacotet (début XIXe siècle).
– vers 1836/1837-1861 (plans de l’architecte du département Joffroy) : érection d’une chapelle dans la cour, construction d’une salle d’asile avec au-dessus une école communale de filles.
De la fin du XVIIIe siècle à la fin du siècle suivant, le fonctionnement de la Charité et le « gouvernement des pauvres » sont en partie confiés à des religieuses hospitalières de la congrégation du Saint-Sacrement (1785-av.1803), spécialisée dans les soins apportés aux vieillards et incurables, et de celle de Saint-Charles (1831-1834, 1850-1903), dévolue essentiellement à l’éducation des enfants. En 1758, la Charité accueillait 126 pensionnaires (dont 72 enfants), placés dans les fabriques locales. Elle amorça son déclin à la fin du XIXe siècle, notamment suite à l’ouverture du Refuge Benoît en 1880. Sa chapelle néo-romane, édifiée à partir de 1852, fut « transformée » en temple protestant. En l’état actuel des recherches, on ignore combien de temps elle eut cette vocation.
On conserve la lettre des hospices civils en date du 25 septembre 1910 concernant d’une part la décision de désaffection de « la chapelle de la Charité », approuvée par le préfet de Vaucluse le 7 novembre 1910, et d’autre part des courriers portant sur son mobilier religieux datés de 1923 et 1934. Il apparaît que la Charité fut désaffectée en 1910. Une partie fut attribuée à l’ouvroir et au dispensaire et une autre, après avoir subi quelques travaux de réappropriation, fut réservée à des logements de particuliers.