Lors de la guerre de 1914-1918, des milliards de lettres et de cartes ont cheminé sur les routes de France via les services postaux, entre le front et les demeures des familles qui attendent avec fébrilité des nouvelles des hommes partis combattre.
Parmi ces correspondances se trouvent les quelques 300 courriers envoyés par le l’islois Théophile Vachet à Blanche « Ba » Eygrier, avec laquelle il s’est marié quelques mois avant la mobilisation générale.
Ces documents, précieusement conservés par leur fille Josette Doumens, puis par leur petite-fille Marie-Odile Goudet, ont été publiés en 2007 par cette dernière dans l’ouvrage qu’elle a coécrit avec Emmanuel Mère : « Nous partirons d’ici demain : lettre du front, août 1914-octobre 1918 ».
Afin que la mémoire de ce combattant l’islois soit accessible au plus grand nombre, Marie-Odile Goudet et sa famille s’apprêtent à donner à la Ville l’ensemble de ces courriers, ainsi que près de 30 photographies, pour que ce fonds soit conservé au sein des archives municipales.
« Nous partirons ici tous contents et ne souffrirons jamais »
4 août 1914
Mobilisé dès août 1914, il attend le départ à l’hôtel du Grand Balcon à Marseille où il adresse ces quelques mots à sa femme : « Nous partirons ici tous contents et ne souffrirons jamais ». Une autre illustration de la fameuse formule disant que les soldats, confiants en une victoire rapide, partaient « la fleur au fusil ».
Envoyé en Meurthe-et-Moselle, le soldat Théophile Vachet est versé à l’ambulance 7 de la 15e section d’infirmiers (il avait fait son service militaire en Algérie de 1910 à 1912 dans la 20e sections d’infirmiers). Il est alors conscient de sa chance, se trouvant ainsi loin des combats durant plusieurs semaines et pouvant écrire à « Ba » de manière régulière. Lettres, cartes militaires et cartes civiles sont noircies à l’encre ou au crayon gris, pour quelques mots ou de longues nouvelles.




Il commence à soigner ses compagnons d’infortune à partir du mois de décembre. Seuls les courriers et l’espoir d’une permission permettent à ces jeunes hommes de tenir face à l’horreur de la guerre.
En 1916 et 1917, Théophile et ses camarades sont envoyés dans le Nord, puis dans l’Oise, en instruction, dans la Somme et à la frontière belge.
En juillet 1917, il participe pendant deux semaines à un stage dans le Pas-de-Calais et il suppose que « nous participerons sûrement à la fête ». En septembre il retourne en Belgique où les combats font rage. Il va notamment participer à des travaux de défense.
En mars 1918 il est dans la Somme et écrit le 30 de ce mois à sa femme « Nous voilà au jour où nous allons monter en ligne. Ce soir dans une heure peut-être, nous serons face aux boches ».
Quelques jours plus tard, le 5 avril d’après sa fiche matricule, il est blessé au bras droit lors d’un combat à Hangard-en-Santerre. Il est hospitalisé à Charolles en Saône-et-Loire où Blanche va pouvoir le rejoindre. Après un bref retour en zone de combats, Théophile est de nouveau hospitalisé fin septembre dans l’Oise, au château de Chambly, car sa blessure est infectée. En convalescence à L’Isle, c’est dans la ville où il a grandi qu’il apprend la fin de la guerre.
« Beaucoup de ses enfants [de L’Isle] auront payé de leur vie cette page d’histoire »
16 septembre 1915
Né à Eygalières en 1889, Théophile s’installe à L’Isle avec sa famille vers 1896.
Jeune homme studieux, il obtient son certificat d’études et doit renoncer à devenir instituteur et entre comme commis aux écritures au sein des Plâtrières de Vaucluse où il côtoie la famille Char.
Comme lui, nombre de camarades l’islois ont été mobilisés. Il demande régulièrement de leurs nouvelles à sa femme et en croise certains dont Albert Char, frère aîné de René, en novembre 1914.
Quelques jours auparavant, il s’était rendu sur la tombe de Jean Juge, inhumé au cimetière de Dombasle-en-Argonne, village de la Meuse où il est décédé le 9 octobre après avoir été blessé aux environs de Verdun.
Le nom de Jean Juge figure sur le monument aux morts, érigé dans le cimetière communal, aux côtés de ceux des 200 autres enfants de L’Isle qui ont perdu la vie dans ce conflit.
Parmi eux, Joseph Roch Vachet, le frère de Théophile. De trois ans son cadet, il intègre le 112e régiment d’infanterie de Toulon le 11 novembre 1914 et décède dans la nuit du 26 au 27 septembre 1915 en Meurthe-et-Moselle des suites de blessures de guerre.
Revenu en vie de cette guerre, Théophile Vachet – décédé en 1981 – racontera à sa famille, avec émotion et retenue, ses dramatiques souvenirs, notamment de Verdun. Un souci de transmettre que sa famille poursuit en donnant prochainement à la Ville ce fonds qui portera son nom.
Particulièrement riche de par le nombre de courriers envoyés durant les quatre années de guerre, ce fonds constitue une nouvelle source pour les chercheurs qui s’intéressent à la « microhistoire », c’est-à-dire à l’histoire d’un individu, permettant ainsi d’apporter un nouvel éclairage sur la vie de ces combattants, au cœur de ce terrible conflit.
Sauf mention contraire, les illustrations sont issues du fonds Théophile Vachet

