Depuis 2013, la commune de L’Isle-sur-la-Sorgue porte une attention toute particulière à l’histoire de la communauté juive de sa ville et travaille activement à la mise en valeur de son patrimoine judéo-Comtadin. C’est dans ce cadre qu’une opportunité foncière a permis l’acquisition en 2020 d’une partie d’un vaste immeuble édifié entre 1760 et 1765 en cœur de ville (cadastre CP 471), à l’intérieur du périmètre de la juiverie. C’est pour le compte des frères David Aaron et Isaac de Beaucaire, puissante famille de la communauté, que le célèbre architecte l’islois Esprit-Joseph Brun (1710-1802) imagine une vaste demeure à l’emplacement de deux maisons achetées à des chrétiens, marquant l’agrandissement de la carrière des juifs au cours du XVIIIe siècle. Rare témoin d’une construction Judéo-Comtadine d’époque moderne encore en élévation, sa morphologie spécifique est une réponse judicieuse aux règles contraignantes en matière d’architecture, imposées à l’intérieur de l’une des quatre carrières juives du Comtat.
Une réflexion est actuellement en cours sur un projet de mise en valeur de ce bâtiment en cours d’inscription au titre des Monuments Historiques, et plus spécifiquement sur sa cage d’escalier centrale. Très altérée, cette dernière demande d’importants travaux sur sa structure et ses décors. C’est en amont de ce projet de restauration qu’une étude historique approfondie sur l’édifice et son environnement a été menée par I. Rava-Cordier (DPI) à partir des données récemment collectées par R. Anziani[i] et qu’un diagnostic archéologique (bâti et sédimentaire) a été effectué sur la parcelle nouvellement acquise par la collectivité. Le croisement des observations réalisées sur le bâti et des sources archivistiques a permis de proposer une restitution de l’organisation initiale des espaces intérieurs et extérieurs de l’immeuble, largement remaniés à partir de la Révolution et du morcellement de l’édifice en plusieurs propriétés.
Le bâtiment en forme de fer à cheval se développe autour d’une étroite impasse jouant le rôle de puits de lumière, perpendiculaire à l’actuelle rue de l’Hôtel de Ville qui formait au XVIIIe s. la limite Nord du ghetto.
Le choix de ce type de plan en « U » permet de multiplier le nombre de fenêtres, répondant à l’obligation faite aux juifs de ne disposer que d’ouvertures orientées vers l’intérieur de la carrière. Chaque aile de l’immeuble abritait à l’origine l’un des frères Beaucaire, les deux propriétés étaient desservies par une unique entrée et un escalier principal commun, situé au fond du cul-de-sac. Les volumes de l’immeuble ont relativement peu changé depuis sa construction, le bâtiment présente visuellement une grande homogénéité, il se développe sur quatre niveaux augmentés d’un étage supplémentaire situé au-dessus de l’escalier central.
L'escalier de l'immeuble Beaucaire
La cage d’escalier se compose en rez-de-chaussée d’un petit vestibule rectangulaire menant à un escalier à volées droites avec paliers intermédiaires distribuant l’édifice sur trois étages. Deux techniques de construction ont été employées dans cet ouvrage : structure en pierre pour la première volée et le premier palier, puis utilisation de bois, plâtre et terres cuites pour les niveaux supérieurs. Le sol très perturbé du vestibule est composé d’un puissant pavement en dalles calcaire où plusieurs creusements de tranchées pour le passage de canalisations ont provoqué un affaissement spectaculaire de ce niveau de circulation .
La cage d’escalier est à ce jour à l’abandon, sa restauration à forte vocation patrimoniale permettra à l’ouvrage de retrouver sa destination première en desservant de nouveaux logements créés dans l’immeuble Beaucaire, ainsi qu’un possible espace dédié à l’histoire des juifs de la communauté de L’Isle.
[i] Anziani 2018 : Anziani R., La juiverie de L’Isle 1791-1828, recherche historique, édition de l’auteur, 2018, 292 p.